A genoux sur le matelas, j'attrape un miroir posé sur la table de chevet, poussant le draps d'une main pour le poser bien à plat sur le lit. Sachet de poudre rapidement en main, je laisse tomber un peu de blanche sur la surface, cassant la pyramide en deux lignes plutôt minces. Opulence dégueulasse, je roule un billet de cinquante euros et me penche vers la ligne pour la faire disparaître entre mes narines. Rapidement redresser, tête renversée vers l'arrière, je presse mon nez du revers de la main. S'agit d'éviter qu'une veine pète sous l'effet de la poudre. Me retrouver avec le nez en sang m'arrivait de plus en plus fréquemment. Quand on est dans le privé, ce n'est pas bien dérangeant, un peu douloureux comme si ton nez menaçait de fondre mais supportable. Personne pour te voir, aucune preuve concrète et directe de la décadence commune aux types de mon genre. Quand la ligne s'envoie avant un catwalk, ou avant un shoot, c'est plus dramatique. Les maquilleurs font des efforts fabuleux pour camoufler les traces, les cernes, et les pommettes trop maigres des mannequins. L'art du déguisement, les putains de cadavres d'une industrie superficielles balancés rayonnant sur la couverture des magazines en vogue. Les anges idolâtres par les foules de jeunes qui s'enfoncent les doigts au fond de la gorge pour essayer de leur ressembler. Conneries qui ne m'atteignent absolument pas. Personne ne te met le couteau sous la gorge, tu penches la tête de ton propre chef pour te shooter à ces merdes. Mes narines arrêtent de me brûler et j'ai vite fait de reprendre mon billet pour faire disparaître la deuxième ligne. Un an maintenant, une année à tourner aux excitants divers pour tenir debout, marcher le long des podiums pour x collection en arborant cet air supérieur, froid, et intouchable propre aux mannequins. La collection automne hiver la plus fausse possible. On ne remarque pas nos visages, juste les tissus hors de prix arborés, qu'une nana blindée de thunes voudra pour remplir sa garde robe déjà pleine à craquer. Call me if you need a fix, call me if you need a boost. Ce soir on les envoie au septième ciel, les yeux qui brillent devant le rouge de la saison. So posh. Fallait s'en contenter. Ma vie me plaisait même si je la sais superficiel et d'ores et déjà avortée. Faire son temps, tenir deux ou trois ans maximum en surfant sur le luxe et les soirées privées en habits de haute couture, avant de retourner se vautrer dans sa vie passée. La merde dont on t'avait sorti, pour t'y rebalancer une fois que l'air candide avait disparu. Tout le monde le sait, mais personne ne semble vouloir l'apprendre. Je me sais déjà perdu, et je lève mon majeur face à mon futur. Il n'existe pas, pas pour l'instant. Justificatif ? Je pourrais partir dans le mélodrame, parler de ma famille dissoute, d'un père absent et d'une mère qui écartait les jambes pour n'importe quel mâle croisant sa route, la catin de la ville qui n'en avait plus rien à faire de ses quatre mioches, qui se faisait prendre de tous les côtés pour combler le manque de l'époux absent, et qui n'entendait pas les mômes s'englober et se plaindre sur leur sort. Je pourrais très bien partir dans le pathos, raconter ô à quel point la vie m'avait gerbé dessus dès mes premières années ici bas, famille de pauvres, à jouer les riches sans le sous, à galérer pour un repas et balancer par amour les rejetons à l'aide sociale. Mais ce n'était pas le cas. La vérité est d'une connerie basique, la simplicité d'une famille sans histoire, respecté et respectable, et du fils unique et sans ambition, qu'on avait repéré dans la rue. Le fantôme qui n'avait rien trouvé de mieux que de se faire prendre en photo pour quelques dollars pièce. Il n'est pas question de gloire, il n'est pas question de renommée, d'avenir brillant sous les projecteur, de reconversion majestueuse, d'argent, de femmes … Juste le désillusionné, le type qui passait sa vie à se faire chier, et quitte à rien branler, autant qu'on lui file un peu de blé pour couvrir les fins de mois, et l'achat de sa blanche. La morale de mon histoire, de ces vingt années de vide, est qu'il n'y en avait pas. Le branleur s'en sort mieux que celui qui travail. Suffit d'un physique aguicheur, qui fera le compte pour quelques années. Profiter, encore et encore, jusqu'à crever de jouissance. On m'avait donné la possibilité de nager dans un monde de luxe et plaisir, apparences bêtes et qui ne demandait aucun effort ? Je m'y vautrais totalement. Message reçu. Un léger rire m'échappe, et je vire le miroir, le balançant sur le sol. Le verre se brise. Les sept années de malheur, je leur gerbe dessus. Une main fraiche glisse le long de mon torse, et je tourne légèrement le visage, posant mes lèvres sur les lèvres couvertes des restes d'un rouge à lèvre ornant déjà les draps blancs de mon lit. I don't give a shit, i think I'm totally fucked up. « T'es sûr qu'ils voudront de moi ? » Je lève les yeux au ciel, laissant entendre un léger rire amusé. « J'ai bien voulu de toi. » Trop défoncé, trop high et perdue dans ses fantasmes de gloire, elle ne comprendra pas la remarque, ou ne la relevera pas. Mon bras glisse autour de sa taille dénudée, la force à se coucher, son dos épousant le matelas. Rapidement placé à califourchon sur la blondinette, je dépose mes lèvres au creux de son cou. « La plus belle des parisiennes. Quand mon agent te verra, il te trouvera directement un contrat. » Bien entendu. Connerie balancer, son visage s'illumine. Tu lui donnes ce qu'elle veut, la fait espérer, et te ravis en retour. Le jeu marchait toujours, je ne voyais pas de raison de le stopper. La porte de la chambre claque. Blondie se redresse d'un coup, attrapant le drap balancé sur le sol pour couvrir sa poitrine. Fausse prude, les filles à la petite vertu semble se faire rare dans la capitale française. Je laisse échapper un soupir en retombant sur le côté. « La voix de la raison en action. » Mon agent, en parlant du loup, débarque en trombe dans la chambre d'hôtel. « Lev, dégage cette fille, t'as un nouveau contrat. » Et nouveau soupir qui se fait entendre, un peu plus fort, marqué, en provocation, je glisse une marlboro entre mes lèvres. « Une putain de soirée à profiter de la romance parisienne, c'est sûrement trop demander. » Aucun regard jeté à la nana partageant mon pieu, mon agent me balance un t shirt traînant sur le sol. « Avec Oratorio. Tu pourras te payer plus de poudre si tu bouges ton cul Lev. » Ainsi dit, j'enfile le haut, sourire moqueur sur les lèvres. « La vie semble ainsi faite. Dégueulasse, tu me prends par les sentiments. » Connard en vogue, première page des magazines de mode, il vous emmerde, vous prends de haut, et sera rapidement oublié. Fuck it.