• Défilé Yves-Saint-Laurent ; New-York. 2010

« Bonjour ! Je suis Hanouck Locono, je viens d'Ukraine et vous regardez .. Fashion TV ! »

Je souris faisant un clin d'oeil à la caméra, la fille crie une sorte de c'est dans la poche et le caméraman baisse sa grosse boite noire avant de se diriger vers un autre mannequin. Mon sourire ne s'efface pas, comme s'il me permettait de garder la tête haute. J'ai la gorge et le ventre nouaient, mais je ne dis rien. J'ai l'impression d'être livrée à moi, c'est pas les petits défilés auxquels je suis habituée, c'est Yves-Saint-Laurent bordel de merde ! J'essaye de souffler un peu mais j'ai du mal et ça ne me calme aucunement, alors je prends mon sac à main, mon ipod, un paquet de cigarette, et je pousse la porte de sortie. Y a du monde ici aussi alors que je m'attendais à être seule. Je soupirais sous leurs regards interrogateur et j'enfonce mes écouteurs, choisissant une musique au hasard, Ferré, du français. Au moins ça aura le bonus de m'apaisant. J'allume ma clope, en m'appuyant contre le mur. Il est 15heures et le défilé ne commence que dans 3heures, pourtant je suis morte de stress devant tous ces gens. Je connais ça, mais à plus petite échelle, et je dois dire que ça n'a absolument rien à voir. Je reconnais des têtes que je ne pensais voir qu'en magasine, je vois des palettes de fart à paupières que je pensais ne pouvoir voir qu'en rêve. Et j'ai du mal à me dire que tout ça c'est pour moi et que dans peu de temps sûrement, ce sera mon lot quotidien. Fini les shoots pour photographe amateur, finit les campagnes publicitaires pour le bas de gamme. New York sera à mes pieds.

J'avais dû écouter une bonne dizaine de chansons avant de réussir à avoir un semblant de sérénité en moi et je jugeais que j'étais là depuis bien trop longtemps, alors j'écrasais le mégot que j'avais gardé entre mes doigts avant de retourner en backstage. Il n'y avais pas grand-chose de changer ; toujours autant d'activité, toujours autant de monde, et toujours autant envie de me pendre. Je me sentie tirer en avant sans avoir le temps de rien. « Tien te voilà toi ! Pas trop tôt, ça fait dix minutes qu'on t'attend Hanouck. » Je soupirais exagérément en regardant l'habilleuse qui me tirait vers les cintres. Une armée de six personnes vinrent me mettre ma robe, de la folie je vous jure ! En 40secondes chrono j'étais habillée. « T'as maigris depuis les essayages ? » « Peut-être. » Je vois qu'elle est en colère mais moi je sourie. « Mickael, une retouche ici s'il te plait. Regarde là, au niveau de la fermeture, et à la taille, faut que ce soit plus serré. » Plus serré ? Et dire que j'ai dû mal à respirer là. Le Mickael en question me tord dans tous les sens, me piquant avec son aiguille au passage et m'ordonnant d'arrêter de respirer, bah voyons, c'est pas lui qui est compressé ! Il finit assez rapidement et l'habilleuse de tout à l'heure me fait signe d'aller me maquiller « Allez et au pas de course ! » Je marche avec de grand pas en grimaçant. J'ai pas l'habitude des talons de 18cm et je crois que je vais manquer d'oxygène d'ici peu.

Je m'assois à la première place libre, j'ai déjà des ampoules aux pieds et ma tête me tourne. La blondasse fait son boulot, me tartinant de fond de teins avant de me peindre les lèvres en rouge sang. « Tien, tu devrais prendre ça. » La fille à côté de moi me tend son verre de champagne et je lui souris gentiment. Je suis pas trop branchée alcool, mais quelques centilitres ne devraient pas me faire de mal. Je bois d'une trait, faisant attention de ne pas abîmer ma bouche pendant qu'une autre fille s'occupe de mes cheveux. « C'est fou la première fois n'est-ce pas ? Tout ce monde, toute cette agitation, cette attention.. » Je lui souris forcée sans aucune envie de lui répondre. « Alors comme ça tu viens d'Ukraine ? Je t'ai entendu devant la caméra. » Je souris encore, d'un sourire de plus en plus faux. « Tu ne parles pas Anglais ? » J'hausse les épaules et par miracle ça fonctionne. « Bon tant pis, bonne chance pour le défilé. » C'est ça bon vent .. Elle se lève en direction d'un groupe de filles déjà toutes prêtes et je devine que c'est la-bas que je devrais me rendre une fois qu'on aura fini de me torturer.

Ça faisait bien une demie-heure qu'on attendait là, toutes debout, et d'un côté ça me rassurait de voir que je n'étais pas la seule à être presque asphyxiée et à avoir les pieds en sang. Je me dandinais, à la fois pour respirer et à la fois pour oublier la douleur, souriant à chaque fois qu'une caméra ou un appareil photo se pointaient sur nous. « Oh tu passes 18éme ! Je suis juste avant toi, t'auras qu'à suivre ce que je fais. » C'était la fille de tout à l'heure et je me retenais de lui demander si elle avait encore du champagne, bien que ma tête tournait déjà suffisamment à mon goût. Je lui souris un peu, puis je fixais l'horloge mural. On devrait défiler dans quelques minutes, d'ici j'entends la foule, j'entends la musique, je pense que je pourrais même entendre la lumière si je le voulais. « T'as mal aux pieds ? » Perspicace .. « Sers tes orteils, mets toi sur la pointe des pieds, et relâches tes orteils, ça soulage normalement. » Je grimaçais puis elle hocha la tête. « Oh oui.. l'Ukraine.. » Elle me sourit amicalement avant de me tourner le dos, bien que je comprenais qu'elle me disait d'aller me faire voir. Je me dandinais enfin, puis soupirait , appliquant la méthode de miss jememêledetout, grimaçant de surprise. Merde alors, ça marche. Je relevais la tête, affichant une mine boudeuse jusqu'à ce que je vois la star des paudiums partir. Ça y est, j'y suis. Je peux entendre ses talons claquer et imaginer les miens dans quelques minutes. Je pris une grande inspiration qui me noua encore plus l'estomac, mais je m'en moque, parce que c'est ma minute à moi.

• Studio photo ; Espagne. 2010

Assise sur le sol, j'avais enfoui ma tête dans mes genoux, essayant tant bien que mal de regarder Milka qui faisait les cent pas. Oui Milka, la fille qui m'avait proposé du champagne au défilé Yves-Saint-Laurent, tu vois qui ? Oui voilà, enfin bref, mon agent avait réussi à me trouver un shoot à faire pour un célèbre magasine espagnol et il se trouve que j'étais sensé le faire avec Milka. Génial non ? Elle a vite compri que je parlais anglais et le pire c'est qu'elle ne m'a fait aucune remarque. Alors soit elle s'en moque que je lui ai malencontreusement menti ou alors elle croit que je peux apprendre l'anglais en trois semaines. Et sincèrement je sais pas ce qu'il peut avoir de plus flippant. Je relevais la tête, vérifiant qu'elle avait fini de tourner en rond et vérification faite, je soupirais une nouvelle fois. « On attrape pas des guêpes avec un pot de miel comme un lion ne se nourrit pas en tournant en rond dans une cage. Tu fais un magnifique lionceaux par ailleurs, mais tu devrais déstresser, il va bien finir par arriver. » J'avais ri en disant ça mais ça n'apaisa en rien sa colère. « Je vois que t'es une débutante hein c'est ça ? Tu te pointes au défilé de Yves-Saint-Laurent et ça y est pour toi ta place est bloquée, il suffit de monter. Et bien je vais te dire Nouchka, ri.. » « Je m'apelle pas Nouchka .. » Elle leva un doigt m'obligeant à me taire. « Je vais te dire Anoucka.. » « Raté..» « Oh ta gueule ! Rien n'est acquis dans ce métier et je peux te jurer que la descente aux enfers peut être encore plus rapide que ta montée au ciel et je te promets que c'est pas un foutu photographe de merde qui va briser ma carrière. » J'avais ri une nouvelle fois mais en silence, alors c'est ça ressemble à ça les caprices des mannequins ? Je devrais lui casser un ongle juste pour voir.

« Comment t'as été découverte ? » Son ton est froid et j'ai conscience qu'elle me déteste. Barff, c'est pas la première. « J'ai été Miss Ukraine. » Elle me regarda les yeux ronds et j'explosai de rire. « J'avais 9ans. » Je retenais un nouveau rire levant un sourcils. « T'as jamais fait de concours de beautés ? » Sa réaction me fit sourire et je pris conscience qu'elle ressemblait à ses filles qui vont d'agences en agences avec un book amateur, suppliant des agents de les faire signer. Je me décidai de me lever avec l'envie de lui faire manger la poussière. J'ai toujours eu tendance à rabaisser les gens et le fait de défiler sur un podium ou de poser pour des photographes ni changeaient rien, bien au contraire. « T'es jalouse ou quoi ? Tu sais, c'est tout bête, comme toi je suppose. T'as été découverte dans la rue c'est ça ? » Je souriais, continuant mon petit jeu. « Moi c'était sur la plage, j'étais en train de bronzer et il se trouve que ma voisine de serviette était un talent scout. On a discuté et pouf, c'était fait. Deux semaines plus tard me voilà à New-York. Je suis toujours fasciné par la rapidité que ça prend tu vois ? Quand on me raconte comment les mannequins se font découvrir je suis toujours là : woah c'est tellement incroyable, ça veut vraiment dire qu'ils sont fais pour ça ! » J'observai sa réaction, mon agent ma racontée que c'était plutôt compliqué d'être reconnu quand on faisait la démarche soit même et que d'ailleurs, la plupart des filles se font recalées. Il ne suffit pas d'être belle et mince pour être mannequins, je crois que Milka l'avait très bien compris. Et je crois qu'elle aurait été capable de m'étrangler si le photographe n'était pas arrivé à ce moment là.

• Appartement d'Hanouck ; New-York. 2011

J'étais là, assise sur mon canapé, face à mon assiette de crudité posée sur ma table basse. J'observai mes carottes et mes concombres, essayant de compter combien de calories je m'apprêtais à manger. A peine 800 et je n'avais rien mangé depuis deux jours. Je soupirais, posant ma main sur mon ventre vide, certaines qu'un troue noir serait plus remplie que ça. Je piquais deux rondelles avec ma fourchette, observant mes cuisses qui pourraient ce confondre avec mes mollets. J'avalai trois autres bouchés, mâchant énergiquement, espérant bêtement que ça réduira les calories, puis je m'allongeais sur le dos, prenant toute la place du canapé et je fermai les yeux essayant de dormir. Ce soir, je ne vomirais pas.